Liens entre microbiote, stress* et humeur
De plus en plus d’études suggèrent que les signaux produits localement dans l’intestin (incluant ceux produits par le microbiote) ont un effet sur le cerveau et les comportements.
En particulier, il semble que le microbiote, selon sa composition, est capable d’influencer la réponse au stress et même l’humeur (sociabilité, anxiété, dépression).
En effet, le stress chronique perturbe l’équilibre du microbiote intestinal à travers divers mécanismes, qui restent encore à clarifier. En perturbant la régulation de nombreux processus immunitaires, le stress chronique favorise l’inflammation à la fois locale et systémique. Tous ces changements aboutissent par exemple à l’augmentation de l’expression de récepteurs aux microorganismes (TLR) au sein de la muqueuse intestinale, mais aussi des niveaux de sécrétion des immunoglobulines dirigées contre le microbiote (IgA) ou encore des niveaux de nombreux facteurs inflammatoires dans le sang1. La perturbation de ce dialogue entre système immunitaire et microbiote porte atteinte à la composition de ce dernier en favorisant l’expansion de certaines souches bactériennes au détriment des autres.
Mais comment les microbes, situés dans l’intestin, peuvent-ils agir ainsi sur notre cerveau ?
De même que le stress affecte l’intestin et le microbiote en mobilisant les voies nerveuses et hormonales, ces voies fonctionnent à double sens. En fait, le nerf vague est même constitué à 90% de fibres ascendantes, c’est-à-dire véhiculant des messages depuis l’intestin vers le cerveau. On sait aujourd’hui que le nerf vague transmet des informations variées allant de la teneur en nutriments à la présence de produits bactériens1. Les régions cérébrales qui reçoivent ces informations sont situées dans le tronc cérébral et l’hypothalamus, et se trouvent être directement impliquées dans la réponse au stress (axe corticotrope).
L’axe corticotrope est lui-même étroitement lié aux régions corticales qui contrôlent nos émotions et nos comportements. De cette façon, il est tout à fait envisageable qu’une modification de la composition du microbiote (qu’elle soit bénéfique ou néfaste) puisse avoir des répercussions sur notre humeur. Par exemple, certaines bactéries du microbiote, utilisées comme complément alimentaire sous le nom de probiotiques, ont des effets bénéfiques sur la santé mentale en réduisant notamment notre anxiété. Dans les modèles animaux, cet effet anxiolytique est supprimé en cas d’ablation du nerf vague, suggérant effectivement un rôle important de ce dernier dans la communication microbiote-cerveau2–4.
Au-delà du rôle du nerf vague, les nombreuses hormones libérées par le tractus intestinal, bien connues pour leurs effets métaboliques, affectent aussi le cerveau, les émotions et les comportements5–7. La composition du microbiote est déterminante pour notre métabolisme et de ce fait peut affecter la production d’hormones par l’intestin. Plus encore, les hormones, enzymes, et autres métabolites bactériens libérés par le microbiote lui-même ont également un effet sur le cerveau. C’est le cas des acides biliaires, acides aminés ou acides gras à chaînes courtes8,9. Par exemple, le butyrate, un acide gras à chaîne courte, module le comportement chez la souris à travers des régulations épigénétiques10,11. Enfin, les particules bactériennes, notamment celles qui composent les parois des bactéries, telles que le lipopolysaccharide, sont aussi capables de traverser la barrière intestinale et rejoindre le cerveau, où elles activent des récepteurs spécifiques12,13. De nombreux travaux chez l’animal décrivent un impact du lipopolysaccharide sur le comportement de type dépressif. Cet effet direct peut être amplifié par l’activation de récepteurs locaux dans l’intestin, entraînant la production de cytokines qui elles aussi peuvent migrer dans le cerveau14. Les cytokines ont la capacité de moduler l’activité de l’axe corticotrope afin d’optimiser la défense de l’organisme face à un pathogène. En revanche, l’inflammation intestinale chronique, en lien avec un déséquilibre permanent de la composition du microbiote (dysbiose), est associée à des maladies psychiatriques telles que la dépression15,16.
Conclusion
Nous découvrons chaque jour un peu plus à quel point la santé de notre microbiote est importante pour notre santé globale, y compris mentale. Dans nos sociétés modernes, où le stress est présent au quotidien, où la symbiose entre notre microbiote et nous-mêmes est déjà fragilisée par une alimentation déséquilibrée, il semble crucial de comprendre comment notre microbiote réagit au stress et module nos réponses biologiques, afin d’éviter l’installation d’un cercle vicieux inflammatoire qui compromettrait notre santé mentale.
*faisant ici référence aux stress de type psychologiques
Bibliographie
-
- Bonaz, B. L. & Bernstein, C. N. Brain-Gut Interactions in Inflammatory Bowel Disease. Gastroenterology 144, 36–49 (2013).
- Bravo, J. A. et al. Ingestion of Lactobacillus strain regulates emotional behavior and central GABA receptor expression in a mouse via the vagus nerve. Proc. Natl. Acad. Sci. U. S. A. 108, 16050–16055 (2011).
- Marvel, F. A., Chen, C.-C., Badr, N., Gaykema, R. P. A. & Goehler, L. E. Reversible inactivation of the dorsal vagal complex blocks lipopolysaccharide-induced social withdrawal and c-Fos expression in central autonomic nuclei. Brain. Behav. Immun. 18, 123–134 (2004).
- Bercik, P. et al. The anxiolytic effect of Bifidobacterium longum NCC3001 involves vagal pathways for gut-brain communication. Neurogastroenterol. Motil. Off. J. Eur. Gastrointest. Motil. Soc. 23, 1132–1139 (2011).
- Holzer, P. Neuropeptides, Microbiota, and Behavior. Int. Rev. Neurobiol. 131, 67–89 (2016).
- Jiao, Q. et al. The neurological effects of ghrelin in brain diseases: Beyond metabolic functions. Neurosci. Biobehav. Rev. 73, 98–111 (2017).
- Anderberg, R. H. et al. GLP-1 is both anxiogenic and antidepressant; divergent effects of acute and chronic GLP-1 on emotionality. Psychoneuroendocrinology 65, 54–66 (2016).
- Lyte, M. Microbial endocrinology: Host-microbiota neuroendocrine interactions influencing brain and behavior. Gut Microbes 5, 381–389 (2014).
- Rooks, M. G. & Garrett, W. S. Gut microbiota, metabolites and host immunity. Nat. Rev. Immunol. 16, 341–352 (2016).
- Bourassa, M. W., Alim, I., Bultman, S. J. & Ratan, R. R. Butyrate, neuroepigenetics and the gut microbiome: Can a high fiber diet improve brain health? Neurosci. Lett. 625, 56–63 (2016).
- Stilling, R. M. et al. The neuropharmacology of butyrate: The bread and butter of the microbiota-gut-brain axis? Neurochem. Int. 99, 110–132 (2016).
- Arentsen, T. et al. The bacterial peptidoglycan-sensing molecule Pglyrp2 modulates brain development and behavior. Mol. Psychiatry 22, 257–266 (2017).
- Farzi, A. et al. Synergistic effects of NOD1 or NOD2 and TLR4 activation on mouse sickness behavior in relation to immune and brain activity markers. Brain. Behav. Immun. 44, 106–120 (2015).
- Capuron, L. & Miller, A. H. Immune system to brain signaling: neuropsychopharmacological implications. Pharmacol. Ther. 130, 226–238 (2011).
- Raison, C. L., Capuron, L. & Miller, A. H. Cytokines sing the blues: inflammation and the pathogenesis of depression. Trends Immunol. 27, 24–31 (2006).
- Maes, M., Kubera, M. & Leunis, J.-C. The gut-brain barrier in major depression: intestinal mucosal dysfunction with an increased translocation of LPS from gram negative enterobacteria (leaky gut) plays a role in the inflammatory pathophysiology of depression. Neuro Endocrinol. Lett. 29, 117–124 (2008).