Le microbiote intestinal est actuellement considéré comme un facteur clé important dans la pathogenèse de l’obésité. A l’heure actuelle, les chercheurs qui travaillent sur cette pathologie ont bel et bien établi des altérations de la composition du microbiote intestinal (dysbioses). Pourtant, ces résultats de composition bactérienne, (peu reproductibles d’une étude à l’autre) ne permettent pas de conclure sur un seul et même profil de microbiote dans l’obésité (cf lien de la veille précédente). En revanche, certaines bactéries de l’intestin partagent des fonctions ou activités métaboliques communes qui peuvent contribuer à entretenir la pathologie. Plusieurs études se sont intéressées aux métabolites bactériens, molécules produites par les bactéries de l’intestin et qui peuvent agir sur notre organisme
Les acides gras à chaine courtes
Les nutriments (glucides, protéines,…) apportés par notre alimentation représentent une source d’énergie pour le microbiote intestinal. Ce dernier possède la capacité d’utiliser ces nutriments et d’y extraire l’énergie suffisante à sa survie. Par exemple, les bactéries intestinales sont responsables de la dégradation de polysaccharides (glucides, également appelés « fibres ») non digestibles. Cette utilisation de fibres par les bactéries intestinales entraîne la production de molécules ou métabolites particuliers appelés acides gras à chaine courte (AGCC). Ces derniers, qui résultent d’une activité de dégradation de certains nutriments, peuvent nous être utiles en tant que source énergétique (c’est le cas du butyrate, un AGCC majoritaire). Le microbiote intestinal de patients obèses est connu pour avoir une plus grande quantité de gènes de dégradation, ce qui suggère une plus grande capacité à extraire l’énergie du régime alimentaire (et donc à produire plus de AGCC) que les sujets non obèses 1,2. Des études expérimentales sur des sujets humains et animaux obèses ont montré qu’une production accrue d’AGCC fournissait des calories supplémentaires à l’hôte et entraînait ainsi une prise de poids 3. Cependant, Murphy et ses collègues ont découvert que la production des AGCC de souris rendues obèses génétiquement (ob/ob) était significativement augmentée à partir de 7 semaines seulement, par rapport aux individus maigres et que le niveau d’acétate (un autre type d’AGCC majoritaire) diminuait progressivement. Ces résultats suggèrent un manque de stabilité des AGCC dans le temps4 et le lien entre la composition de notre flore intestinale et les niveaux d’AGCC semble être bien plus complexe que prévu car aucune association significative n’a été trouvée entre eux 4. En outre, les AGCC semblent jouer d’autres rôles notamment au niveau du métabolisme (production de glucose) mais aussi sur la régulation de la prise alimentaire de l’hôte. En effet certains de nos organes sont sensibles aux AGCC bactériens 5 ; c’est le cas de l’intestin, des muscles, du foie, du pancréas et du tissu adipeux. Par exemple, certains AGCC bactériens peuvent stimuler la sécrétion d’hormones anorexigènes synthétisés par l’intestin (GLP-1, PYY) et le tissu adipeux (leptine). Ces hormones anorexigènes PYY et GLP-1 sont retrouvés en moins grande quantités chez les patients obèses 6,7. Certains AGCC ont même la capacité d’agir directement pour réguler notre prise alimentaire 8. Enfin, l’abondance de certaines bactéries du microbiote (Bacteroides, prevotella augmentées dans l’obésité) est liée à la libération d’une autre hormone cette fois stimulant la faim (orexigène) 9,10. Ainsi, les AGCC produits par le microbiote peuvent agir à différents niveaux pour moduler l’apport alimentaire. Toutefois, des investigations supplémentaires sont nécessaires pour mieux caractériser les profils clinico-biologiques des AGCC au cours de l’obésité.
Le lipopolysaccharide (LPS) bactérien et l’inflammation de bas grade dans l’obésité
L’inflammation dite de bas grade dans la pathologie de l’obésité est également associée aux complications de l’obésité (maladie cardiovasculaire, diabète de type 2) 11,12. Les changements dans la composition du microbiote intestinal de patients obèses conduisent à une plus grande production de LPS et un passage augmenté au travers de notre épithélium intestinal 13. Le LPS qui est un composant de la membrane de certaines bactéries, peut déclencher une réponse inflammatoire et être responsable de l’insulino-résistance (processus conduisant à une augmentation du glucose sanguin) rencontrée dans l’obésité14. Les souris injectées avec du LPS ont un poids corporel augmenté, une adiposité viscérale et sous cutanée plus importante associées à d’autres complications (taux de sucre dans le sang à jeun augmentés, infiltration de lipides dans le foie accrue,…) que les souris non injectées 13.
Implication du microbiote intestinal dans le stockage des graisses de l’organisme
Le microbiote intestinal semble avoir une forte influence sur l’utilisation ou la dégradation des acides gras par l’organisme. En effet, les souris sans microbiote nourries avec HFD (diète riche en gras) ont montré des niveaux plus élevés d’une enzyme clé impliquée dans la dégradation des acides gras (l’adénosine monophosphate kinase; AMPK) dans le foie et les muscles squelettiques par rapport aux souris possédant un microbiote. L’AMPK est une enzyme cruciale qui joue un rôle important dans l’homéostasie énergétique. Des niveaux augmentés d’AMPK entraînent une dégradation des acides gras plus forte15,16. Son inhibition par le microbiote intestinal favorise la synthèse du cholestérol et des triglycérides, favorisant donc la lipogenèse, conduisant à l’obésité par un excès de stockage des graisses 17. Il est tentant de supposer que le microbiote intestinal pré-obèse spécifique pourrait avoir un effet suppressif plus fort sur l’activité AMPK, rendant l’organisme plus vulnérable à l’obésité 18.
Influence du microbiote intestinal sur le métabolisme des acides biliaires
Les acides biliaires sécrétés par le foie jouent un rôle clé dans la digestion et l’absorption des acides gras dans l’intestin grêle. Les acides biliaires primaires sont produits par les hépatocytes à partir du cholestérol et sont excrétés dans la bile qui sera libéré dans l’intestin. Dans la lumière intestinale, les acides biliaires primaires seront convertis en acides biliaires secondaires par le microbiote intestinal. Ces acides biliaires secondaires seront réabsorbés par notre organisme dans l’iléon (portion basse de l’intestin grèle) et re-circuleront vers le foie via la veine porte. Ainsi, la modification de la composition microbienne intestinale est susceptible d’influencer le pool d’acides biliaires. Swann et ses collègues ont confirmé cette idée en montrant que les souris avec un microbiote intestinal distinct avaient un profil d’acides biliaires spécifique et donc un métabolisme énergétique différent 19. Il a été suggéré que les acides biliaires pourraient affecter le métabolisme des lipides et du glucose 20 et favoriser ainsi une dérégulation du métabolisme hépatique associée à l’obésité, à la résistance à l’insuline et conduisant à la stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD ; infiltration de lipide dans le foie). En effet, le transfert du microbiote intestinal de souris rendues obèse par une diète riche en gras (HFD) dans des souris receveuses sans microbiote a conduit au développement de NAFLD avec des niveaux de lipides hépatiques similaires à ceux des souris obèses 21,22. Ainsi, le microbiote intestinal peut influencer le métabolisme des acides biliaires et enfin le stockage des graisses grâce à plusieurs mécanismes de signalisation.
Conclusion
L’obésité est un problème de santé mondial qui continue d’augmenter rapidement et est considéré comme une maladie multifactorielle. Parmi tous les autres mécanismes, le microbiote intestinal est apparu récemment comme un facteur important dans la physiopathologie de l’obésité. En effet, il influence l’obésité en agissant sur divers mécanismes essentiels à l’homéostasie énergétique, notamment l’inflammation stimulée par le LPS, le métabolisme des acides biliaires, le métabolisme des AGCC et le dépôt de graisse. Cependant, jusqu’à présent, on ne sait pas quelle communauté bactérienne contribue le plus à la physiopathologie de l’obésité. À l’avenir, la modulation du microbiote intestinal pourrait être un moyen thérapeutique pour aider le traitement de l’obésité. Des études cliniques et mécanistes supplémentaires sont nécessaires pour étayer davantage l’utilité clinique et l’innocuité de la modulation du microbiote par les probiotiques, les pré-biotiques ou la greffe de microbiote dans l’obésité.
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